#VIVANT2020

Angelika Markul est née en 1977 en Pologne. Elle vit et travaille actuellement à Paris. En 2016, elle a reçu le Prix Coal 2016 qui récompense un artiste pour son travail associant art et environnement. Elle est aussi la lauréate du Prix Sam Art en 2013. Elle est diplômée de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris.

 

En raison du contexte actuel lié à la pandémie de COVID-19, le Centre international d’art et de paysage de l’île de Vassivière ouvrira de nouveau ses portes le 2 juin 2020. L’exposition Formule du temps d’Angelika Markul est prolongée jusqu’au 1er novembre. 

À la frontière de l’art, de la science et de la science-fiction, FORMULE DU TEMPS est un voyage dans le temps et dans l’espace, dont le Centre d’art et du paysage de Vassivière se fait le vaisseau. En écho au territoire, Angelika Markul propose un ensemble d’installations vidéo immersives, de tableaux et de sculptures de cire et de bronze. Ces œuvres inédites plongent le visiteur dans des paysages irréels qui interrogent l’origine de l’homme, où l’immensité de la nature et la technologie occupent une place centrale. 

 

Murmure, une installation sonore inspirée par de mystérieux sons telluriques

Dans le phare du Centre d’art, tour de contrôle et point de vue imprenable, Angelika Markul installe une œuvre sonore en résonance avec les paysages de Vassivière. Diffusés depuis le haut de la tour, de manière aléatoire et à différents moments de la journée, des sons puissants, inquiétants, intrigants, viennent surprendre les visiteur.se.s de l’île.

Assemblée par Côme Aguiar, cette composition sonore scénographiée puise sa matière première dans des enregistrements de phénomènes sonores mystérieux qui se sont faits entendre aux quatre coins du monde. Produits par le vent, par la terre, par les falaises, ces sons émis par le grand paysage sont issus des profondeurs lacustres autant que du lointain cosmos.

La mise en scène ici choisie convoque la légende du hejnal de la tour Notre-Dame, devenue symbole musical de Cracovie où jadis, chaque matin et soir, un vigile jouait de la trompette. Son rôle était de donner le signal de l’ouverture et de la fermeture des portes de la ville et de prévenir des dangers. En 1241, alors que les Tartares étaient parvenus aux abords de la ville, le sonneur de trompette prévint à temps les habitants, qui purent ainsi fermer à temps les portes de la ville. Cependant, avant que le vigile eut terminé de jouer, une flèche tartare lui transperça la gorge. Chaque jour, toutes les heures, cette mélodie continue d’être jouée en haut de la tour Notre-Dame. Mais pour commémorer cet événement, la mélodie s’arrête toujours au moment où le sonneur l’a interrompue il y a des siècles.

 

La mémoire des glaciers : origine, existence et évolution de l’homme, entre science et fiction

La mémoire des glaciers, Angelika Markul, 2019. Musique de Côme Aguiar. Film, couleur, son, 8’31″”, en boucle. Image : © Angelika Markul.

Installée dans un dispositif scénique spécialement conçu pour l’espace de la Nef, La mémoire des glaciers est une œuvre vidéo monumentale qui plonge le visiteur dans une exploration mythique à la confluence de la science et de la fiction.

Premier volet d’une trilogie sur l’origine, l’existence et l’évolution de l’homme, le film débute par la découverte de la comète Tchourioumov-Guérassimenko, nommée ainsi du nom de ses deux découvreurs, les astronomes soviétiques (aujourd’hui ukrainiens) Klim Ivanovitch Tchourioumov et Svetlana Ivanovna Guérassimenko, qui ont observé l’astre à Kiev en 1969. En 2004, cette comète est la destination de la sonde Rosetta de l’Agence spatiale européenne, qui atteint sa cible en 2014. Rosetta entre en orbite de la comète cette même année, et un atterrisseur se pose sur sa surface. Suite à quelques péripéties, les scientifiques en charge de cette mission reçoivent des images en 2015 de très fine résolution : ce sont alors les photos les plus détaillées jamais obtenues d’une comète.

L’étude de ces clichés et des caractéristiques géologiques de la comète Tchourioumov-Guérassimenko permettent aux chercheur.se.s d’envisager de nouveaux éléments d’explication à l’origine de la vie sur terre.

De ces images spatiales, l’œuvre filmographique d’Angelika Markul glisse doucement vers celles d’un glacier situé dans la région d’El Calafate au sud de l’Argentine. En filigrane, elle y raconte le tragique effondrement de ce corps gangrené, dont les amputations se multiplient. Comète et glaciers, roches organiques ici rapprochés, portent de manière intrinsèque et à égalité la vie et la disparition. La composition finale d’Angelika Markul, teintée de mystère, aspire à en révéler les secrets, réels ou fictionnels.

Par cette installation pluri-média monumentale, Angelika Markul cultive le souhait de filmer et sublimer la disparition progressive des glaciers de Patagonie. Ce paysage disparaît, comme a disparu la civilisation amérindienne qui y vivait depuis douze mille ans – les Yagans, décimée par les Européens. Grâce à une manipulation numérique de l’image, l’artiste rend visible et accélère le processus de fonte du glacier, créant un nouveau paysage qui n’appartient qu’à l’esprit de celui qui le regarde. Cette sublimation du danger interpelle le spectateur avec pudeur, sensibilité et poésie. La bande-son, quant à elle, sublime les tensions actuelles entre science, spiritualité et crise environnementale.

La mise en scénographie de La mémoire des glaciers dans la Nef du Centre d’art enveloppe le spectateur dans un monde ambigu, complexe et sombre, que viennent accompagner quatre grandes compositions murales, regroupant un peu moins de 25 tableaux de l’artiste – cartographies imaginaires ou paysages réels.

La comète 67P / Tchourioumov-Guérassimenko prise par la caméra NavCam de la sonde Rosetta le 7 décembre 2015 lorsque la sonde était à 103,1 km du noyau de la comète © ESA/Rosetta/NAVCAM, 2015

 

Tierra del fuego, le sanctuaire des mémoires oubliées

Les visiteur.se.s sont ensuite invité.e.s à se rendre dans l’espace de l’Atelier, en contrebas du bâtiment pour découvrir Tierra del Fuego.

Tierra del Fuego est un projet artistique polymorphe, composé d’un ensemble d’œuvres plastiques qui porte sur la disparition d’un paysage de glaciers. Il est inspiré de l’archipel du même nom qui se situe en Patagonie, aux confluences de l’Argentine et du Chili, à l’extrême sud du continent américain. Le paysage exceptionnel et caractéristique de cette région du monde disparaît progressivement sous l’effet du changement climatique, au même titre que les Yagans, civilisation indigène décimée, séquestrée et exhibée par les Européens dans des zoos humains jusqu’au début du XXe siècle.

En lien avec son film La mémoire des glaciers qui montre l’accélération du processus de la fonte, Angelika Markul révèle les souvenirs enfouis dans les glaces et convoque une série de phénomènes et d’influences qui, ensemble, composent une symphonie de fin du monde : des objets en bronze évoquant les traditions perdues des Yagans, ces pêcheurs nomades de Terre de Feu, une sculpture de la dépouille d’un mylodon, cet animal préhistorique endémique désormais disparu ou encore les reliefs cartographiques de cette terre aux chemins oubliés. L’artiste a conçu cette œuvre en écho au poème La Iluvia lenta (« pluie lente ») de la poètesse chilienne Gabriela Mistral, qui appelle à une nécessaire reconnexion avec la terre-mère.

Angelika Markul poursuit ici les obsessions qui sont au centre de son travail, tels que le passage du temps et la fuite des traces mémorielles et matérielles. Sa pratique artistique rejoint l’utopie d’une archéologie sans faille, à la recherche des traces de vies humaines, animales ou végétales.

 

BepiColombo, au cœur de la machine exploratrice

BepiColombo, Angelika Markul, 2020. Musique de Côme Aguiar. Film, couleur, son, 3’41″”, en boucle. Image : © Angelika Markul.

Dans la salle des études, les visiteur.se.s se trouvent embarqués au cœur d’une machine exploratrice avec la projection du film BepiColombo.

BepiColombo est le second volet d’une trilogie débutée avec La mémoire des Glaciers. BepiColombo tire son nom de la mission d’exploration de la planète Mercure qui a été lancée en octobre 2018 et développée par l’Agence spatiale européenne conjointement avec l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA). Les deux orbiteurs qui composent la mission doivent se placer en décembre 2025 autour de Mercure. Mercure reste une planète peu connue alors que sa proximité du soleil en fait un objectif scientifique important pour comprendre la genèse du système solaire. La vidéo confronte les images de ce satellite en relation à des mines de diamants à ciel ouvert, situées en Sibérie Orientale et aujourd’hui abonnées. Leurs béances forment un immense trou désaffecté de 525 mètres de profondeur et de 1 200 mètres de diamètre et sont visibles par les satellites. à travers ces images, qui sont le fruit d’une collaboration de plus d’un an avec l’ESTEC/ESA situé à Nordwijk aux Pays-Bas, Angelika Markul capte à la fois le désir d’expansion mais aussi la capacité destructrice inhérente à l’homme. Laissant place à l’imaginaire, la vidéo transporte le.la spectateur.trice vers un ailleurs, où pourrait se jouer la création de l’humanité.

Pour accueillir cette œuvre, l’espace de la Salle des études est complètement transformé, peint d’une couleur verte en référence au laboratoire de recherche et d’essai des orbiteurs. Une estrade aux formes futuristes accueille un vaste écran de projection, ainsi qu’un ensemble de sculptures de cire. Ces œuvres entremêlées sont amassées à l’image d’un site de fouilles archéologiques, d’où émergent des formations sédimentaires, des fossiles ou des artefacts artificiels. Envoûtante, la musique du film est réalisée par Côme Aguiar.

BepiColombo, Angelika Markul, 2020. Musique de Côme Aguiar. Film, couleur, son, 3’41″”, en boucle. Image : © Angelika Markul.

 

Marella, sur les traces des dinosaures

Dans le Petit Théâtre, paré pour l’occasion de murs bleus et d’une moquette rose, la projection du film Marella entraîne le.la visiteur.se sur les traces des dinosaures dans un univers aux limites du réel et de la fiction.

Marella puise ses images dans les paysages de la côte ouest australienne, dite côte Kimberley, non loin de la ville de Broome. La réalisation de cette œuvre vidéo est le fruit d’une longue incursion d’Angelika Markul sur ce territoire, qui s’est entourée alors du paléontologue Steve Salisbury et de Richard Hunter, homme de loi Goolarabooloo. Les Goolarabooloo sont une tribu aborigène vivant sur la ligne du chant (the Songline) qui relie le nord au sud de la côte. Cette ligne préserve en elle une histoire, une culture, un patrimoine et une nature extrêmement riches. Cette région est impressionnante tant pour son intérêt paléontologique, car de nombreuses traces de dinosaures y ont été conservés, que pour sa charge historique.

La rencontre de Steven Salisbury et de Richard Hunter a lieu dans les années 2000, lorsque l’écosystème local est menacé par la construction d’une usine à gaz. Un ensemble de personnalités se sont réunies pour combattre afin de maintenir et préserver cette terre. à cette époque, les Goolarabooloo contactent Steven Salisbury et lui demandent de venir certifier la présence de traces de dinosaures. Après plusieurs années de luttes, le projet de l’usine finit par échouer. Aujourd’hui Steven Salisbury cherche à placer le site au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le projet Marella d’Angelika Markul s’inscrit dans le prolongement du travail croisé des chercheurs et des aborigènes. En connaissant l’histoire du site, elle participe à sa préservation et à son respect. 

Ce projet n’est pas seulement un film et une installation. Il est un pèlerinage. Tout le voyage d’Angelika Markul a été rythmé par des apparitions fortes, notamment à travers le contact avec les empreintes qui apparaissaient et disparaissaient en fonction du mouvement de l’eau et de la lune. Ces traces se révélaient suite au nettoyage et au grattage du sable. Elles manifestaient par là un caractère quasi mystique. Sur la côte de Kimberley, on dit que les empreintes se laissent voir quand elles souhaitent être vues.

C’est le cas notamment de l’empreinte qui porte le nom de Marella. Dans les croyances Goolarabooloo, c’est le dieu créateur connu sous le nom de l’Imu Man ou encore de Marella qui a laissé ces empreintes au sol. Le soir, il est possible de le voir apparaître dans la voie lactée, lorsque, son travail de création achevé, le dieu quitte la terre pour rejoindre le ciel. Ici le rapport au temps, à l’espace, à la transmission et à la parole est différent. Il se construit ailleurs que dans les manuels d’histoire, ailleurs que dans l’écriture. C’est aussi cette capacité à transmettre par d’autres moyens qui a interpellé Angelika Markul.

 

Crédit image principale : Marella, Angelika Markul, 2020. Installation vidéo. Musique de Côme Aguiar. Image : © Angelika Markul.

QUAND

29 octobre 2019 – 1 novembre 2020

Centre international d’art et du paysage
Île de Vassivière
Beaumont-du-Lac, 87120 France

SITE WEB

www.ciapiledevassiviere.com