PROJET NOMMÉ POUR LE PRIX COAL 2020

Minerva Cuevas est née en 1975 à Mexico, Mexique. Elle vit et travaille à Mexico, Mexique.

Minerva Cuevas est une artiste conceptuelle qui développe des projets à fortes résonances politiques. Socialement engagé, et offrant des possibilités d’échange et de participation, son art transgresse les frontières et nous incite à reconsidérer notre place dans le monde, collectivement et individuellement. Ses thèmes de prédilection sont les ressources naturelles et les cultures indigènes, le colonialisme, les économies alternatives, la biotechnologie, l’autonomie et l’extinction. Elle a été exposée récemment au Museo de la Ciudad de México (Mexico) et à la Whitechapel Gallery (Londres). Elle a participé à des expositions collectives à la South London Gallery (Londres), au Guggenheim (New York), au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (Paris), au Centre Pompidou (Paris). Minerva Cuevas a également gagné le prix de la Deutsche Akademische Austauschdienst (DAAD).

Le Mexique est l’un des 17 pays dit mégadivers qui abritent à eux seuls près des trois quarts de la diversité biologique terrestre. Parmi les espèces mexicaines emblématiques particulièrement menacées se trouve le Monarque, un grand papillon, dont la population a chuté jusqu’à 97 % en une décennie. Deux fois par an, ce lépidoptère migrateur parcourt, par groupe de millions d’individus, plus de 4000 kilomètres au départ du Canada pour hiberner au Sud, principalement dans le centre du Mexique. Bien qu’il pèse moins d’un gramme et mesure une dizaine de centimètres, le vol de ce bel orangé raconte à lui seul l’histoire de notre monde et l’effondrement en chaîne de tous les écosystèmes du continent américain.

Le projet d’installation vidéo de l’artiste Minerva Cuevas prend place au cœur de la réserve de biosphère du papillon Monarque de l’État du Michoacán. Chaque automne, près d’un milliard d’entre eux viennent colorer les forêts de sapins Oyamel. L’artiste révèle les aspects les moins connus de leur écosystème comme le déclin des fleurs d’algodoncillo et de cempazúchitl, tout orange elles aussi. Essentielles aux pollinisateurs, ces plantes herbacées, comme près de 140 autres espèces du groupe des asclépiades, disparaissent aujourd’hui sous l’effet du glyphosate associé aux cultures transgéniques du Middle West américain.

L’artiste valorise par ailleurs le rôle essentiel des communautés autochtones qui les protègent. Longtemps, dans les traditions locales Nahua et Purépecha, on pensait que l’âme des morts voyageait dans la couleur de ces papillons qui arrivaient chaque année au Mexique lors des célébrations de la fête des morts. Le film sera accompagné d’une musique originale du compositeur Pablo Salazar.

 

Décrivez votre environnement actuel : comment vivez-vous cette ère de covid-19 ?

Comme tous mes voyages professionnels ont été annulés, je ne quitte plus mon studio de Mexico City. C’était mon appartement à l‘origine, donc il y a beaucoup d’espace pour vivre et travailler. L’immeuble est situé dans le Centre historique, un lieu très vivant. J’ai donc pu observer les rues se vider de leurs activités commerciales.

Mon studio est un bel espace, avec une vaste bibliothèque, agréable pour travailler, mais je commence à être fatiguée de regarder des écrans. En étant à l’intérieur si longtemps, j’ai commencé à nourrir un nombre toujours grandissant d’oiseaux de ville depuis ma fenêtre.

Est-ce que cette situation a influencé votre pratique artistique ?

J’ai lu des articles qui analysent la situation et les potentielles conséquences de cette crise. C’est intéressant de voir les contrastes entre les points de vue scientifiques et les approches politiques. Malheureusement, je suis habituée à évaluer et être témoin de beaucoup d’autres tragédies environnementales et sociales, donc je perçois le covid-19 comme faisant partie d’une crise plus large.

Pouvez-vous nous parler d’un événement qui a changé votre rapport à la nature et la biodiversité ?

J’ai serré la main d’un singe lors d’un voyage au Paraguay.

A part cela, je dirais que, malgré le fait d’être née à Mexico City, je viens d’une famille indigène de la région Mixtèque d’Oaxaca, donc j’ai fait l’expérience d’une enfance très fortement liée à l’agriculture et les animaux mais aussi les modes de vie communautaires dans les zones rurales.

Comment avez-vous été amenée à travailler sur le papillon Monarque ?

Ce projet est, et en même temps n’est pas, à propos des papillons Monarques. Le film se concentre sur ces autres éléments de la biodiversité qui maintiennent la vie et les conditions de migrations des Monarques.

Michoacán est une zone qui m’intéresse depuis longtemps notamment par sa grande biodiversité qui dépend beaucoup des lacs de la région. C’est cet écosystème spécifique qui amène les Monarques à s’y arrêter. J’ai aussi suivi les écrits de Donna Haraway : elle est récemment venue à Mexico City et Michoacán pour donner des conférences et visiter le sanctuaire Monarque, ce fut une coïncidence et un grand plaisir de pouvoir échanger un peu avec elle. Je pense que ses écrits à propos des liens de parenté sont extrêmement pertinents de nos jours. J’adore sa perspective, qui est profondément scientifique et très sensible en même temps. Son libre Staying with the Trouble inclut tout un chapitre à propos de la politique de l’eau à Mexico et Michoacán, et la belle histoire du lien entre les communautés paysannes et le papillon. Cet échange m’a conduit à m’investir dans des recherches plus poussées et plus spécifiques.

Dans la plupart de vos travaux, on peut voir une critique amère des structures aux pouvoirs économiques et politiques, alors que dans ce projet, vous étudiez un écosystème spécifique : est-ce que cela montre un renouveau de votre intérêt dans la relation avec les macros et les micro éléments ?

Il n’y a rien de plus important dans l’économie actuelle et la politique globale que les ressources naturelles épuisées, que ce soit l’eau, les forêts, les minéraux, l’agriculture ou le pétrole. Tous les processus de colonisation de la nature et des sociétés indigènes également. Je pensé que de nos jours, il est de plus en plus évident que ces sphères sont liées entre elle et entraînent l’impact négatif d’entités extractives.

Au contraire, je trouverai l’opposé vraiment étrange – à savoir ne pas penser au politique et à l’oppression lorsque l’on parle d’écologie. Je vois mon travail comme un exercice intellectuel et esthétique quand les solutions formelles et les références sont diverses, mais tout est aussi lié aux recherches que je conduis. J’entends recherches ici pas seulement comme de la lecture de documents mais aussi comme des échanges très spécifiques avec des savants et des communautés. Cela inclut toujours des positions politiques diverses et cela renvoie toujours le reflet du monde dans lequel nous vivons, en comptant aussi ce qui n’est pas toujours documenté.

Quel est votre engagement environnemental en tant qu’artiste et citoyenne ?

Il est écologique et pas seulement environnemental, il est donc très vaste. Ma vie et mon travail se situent dans un même espace, où l’éthique et la politique sont un seul et même acte qui gouverne chacune de mes décisions, qu’elles soient esthétiques ou personnelles.

Comment imaginez-vous le monde qui vient ?

Je dis souvent que le futur était hier. Le futur c’est l’action, les actions que nous avons réalisées hier et aujourd’hui, pour moi ce n’est pas une projection imaginaire. Nous le construisons, nous nous battons pour lui. Aujourd’hui, je pense que ce concept est particulièrement éloigné de la notion d’utopie, par exemple. La crise écologique est tellement avancée que tout est devenue beaucoup plus immédiat et urgent. Il n’y a pas de place pour l’utopie alors que nous devons gérer l’urgence maintenant.

 

Image à la une : © JHVEPhoto. Monarch butterflies drinking water.